grande flotte d’Angleterre et d’Hollande, n’ayant rien fait tout cet été, ne puisse au moins garder les côtes d’Irlande et y faire une diversion par une descente, comme V.M. l’avoit toujours projété, et par la nous donner le temps d’attendre les troupes de Danemark pour se servir de toutes ses forces puisque V.M. les destine pour ici — lesquelles ne seroient plus d’un grand secours si nous avions perdu une bataille avant leur arrivée. Pour ce poste ici dont V.M. me parle, je puis bien le conserver avec l’infanterie seule, jusques à ce que Shales aie un peu mis ses chariots de vivres en meilleur étât, comme aussi les chevaux d’artillerie qu’on use de me dire être arrivés. Je crois que tout cela sera en etat dans huit jours, après quoi si les ennemis s’opiniatrent a demeurer à Ardee ou derrière Drogheda, V.M. peut bien juger que je ne puis faire autre chose que de marcher sur la rivière de Shannon, qui est le pays après Dublin qu’ils considèrent le plus.
A l’egard de ce que V.M. me mande des grandes desordres que les soldâts commettent, surtout les Francois — quand je suis arrivé en ce royaume je n’avois que six milles hommes, aucuns equipages, les officiers de l’armée pas un cheval. Après m’être rendu maitre de Belfast, j’ai marché aussitot pour assiéger Carrickfergus. J’ai été bien aise que les troupes trouvassent acheter quelques chevaux. Cela ne suffisoit pas au besoin. Tout le désordre qui peut s’être commis n’a été que prendre de pétits chevaux qu’ils trouvoient dans les champs, pendant que ceux de Londonderry et d’Enniskillen pilloient de leur côté, et les paysans dans les glinns [glens?] du leur. Parmi ceux qui ont pris quelques chevaux, il y peut avoir eu des Francois. Et je crois qu’on est bien aise par les lettres qu’on ecrit d’ici de mettre cela sur eux. Comme je ne prends le parti ni des uns ni des autres, il faut pourtant dire à V.M. que si nos Colonels Irlandois étoient aussi habiles à la guerre comme à envoyer piller en le pays et ne pas payer les soldâts ici, V.M. en seroit mieux servie; elle pourra être informée par d’autres que les trois regiments d’infanterie et celui de cavallerie Francois font mieux le service que les autres. J’ai travaillé toute cette semaine à regler ce que les capitaines doivent donner à leurs soldâts pour tacher d’empecher les chicanes qu’ils leur font. Leurs Colonels prennent si peu de soin de leurs regiments que la moitié des piques sont rompues, et les fusils et mousquets de même, de sorte que je suis forcé presentement de leur en donner d’autres de ceux que j’avois apporté avec moi.
Si on accordoit le congé à autant d’officiers qu’ils en usent, pour le demander, une grande partie de l’armée demeureroit sans officiers, les plupart affectant des incommodités ou des maladies, qui n’ont d’autre fondement que de s’ennuyer beaucoup ici.
Venant d’entretenir Mr. le Comte de Solms de la pensée que j’avois d’envoyer la plûpart de notre cavallerie du côté d’Armagh, il a trouvé une raison qui est considerable, que l’ennemi pourroit se mettre entre elle et nous, et qu’il vaudroit mieux attendre encore quelques jours, en donnant de l’avoine à notre cavallerie des vaisseaux, et voir si les ennemis ne marcheront pas d’Ardee à Drogheda, ou que peutêtre, en attendant un peu, les troupes de Dannemark arrivéroient; et cependant on pourvoiroit les soldâts des souliers et de meilleurs habits. En tout ceci je crois qu’un plus habile homme y seroit beaucoup embarrassé; car les ennemis ne sont pas seulement forts en nombre mais aussi sont bien disciplinés, et la situation des camps aussi bien choisie que des Generaux les plus habiles pourroient faire.
No. 11. — Dundalk, le 4 Nov. 1é89. — Les troupes qui sont venues d’ Ecosse consistent en quatre regiments dont les chevaux sont fort fatigués; celui de Hastings n’a pas trois cents soldâts. Quand Ton auroit marché avec ces troupes ici, le pays est fait d’une manière que l’on ne peut obliger un ennemi à en venir a une bataille s’il ne le veut. II seroit à souhaiter que V.M. eut parlé à un homme qui connoit bien ce pays ici autour. Il n’est pas moins difficile que la Flandre pour obliger un ennemi à donner une bataille. Tant qu’il n’y aura pas un établissement fait avec des personnes à certains prix pour fournir le pain de munition, comme on fait en France, Flandre et ailleurs, il ne sera pas possible de soutenir cette guerre des que l’on s’ éloignera de la mer. Voila le principal article. Je ne dirai rien ici des autres defauts de cette armée. Je me suis donné bien des peines et des fatigues pour y remedier. La chose n’est pas aisée avec de tels officiers. Et il n’y a que la passion, les obligations, et le parfait devouement pour le service de V.M. qui puisse me faire supporter les chagrins et les peines, ou je me trouve.
No. 12. — Lisburn, le 26 Decembre 1689. — Puisque j’ai commencé à parler de l’artillerie il faut dire à V.M. que je n’ai jamais vu tant de méchants officiers qu’il y en a. Ce qui peut avoir contribué à cela, c’est la paresse et l’inapplication aux détails de Goulon. Je veux croire qu’il entend à faire des mines et l’usage de la poudre, mais c’est le tout. Je crois être obligé en conscience a dire la verité a V.M.; le seul homme que j’ai ici dont je suis soulagé c’est le Commissaire Holloway, lequel j’ai fait contrôleur à la place d’un nommé Clark qui vient de mourir, ayant des ministres avec lui mais n’a pas voulu prier Dieu.
Pour les recrues de l’infanterie je suis toujours d’opinion que V.M. les fera meilleurs en Angleterre. Du temps de Cromwell il avoit cette commodité qu’il avoit plusiers regiments en Angleterre, d’ou il tiroit la moitié ou le tiers des soldâts pour ses recrues ici, lesquels savoient deja manier leurs amies. A quoi je dois encore ajouter cette consideration, que l’on fait courir le bruit en Angleterre que la peste est en Irlande, et ainsi et les soldâts et les officiers, levés par-çi et par-lá dans le pays, apprenant par les gens mal-intentionnés que la peste est dans ce pays-çi, ils deserteront. Mais quand la moitié d’un regiment tout-levé armée et